AQPER - Association québécoise de la production d'énergie renouvelable
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Ce qui suit est une lettre de M. Bernard Saulnier, ingénieur, en réponse à l’article « L’énergie éolienne coûte toujours cher » de Mme Hélène Baril, journaliste économique, paru dans La Presse du 22 décembre 2014. La lettre est publiée ici avec permission de l'auteur.

Bonjour Mme Baril,

Un ami m’a suggéré la lecture de votre article paru le 22 décembre sur les résultats du dernier appel d’offres éolien. J’ai été très étonné du contenu et des conclusions, erronées à mon humble avis, de votre analyse. Je souhaite vous faire part des raisons de mon étonnement en relevant ces trois paragraphes de votre texte :

Ce que vous écrivez dans le premier paragraphe de l’extrait reproduit ci-haut constitue une interprétation très clairement erronée de ce qu’est le Facteur d’Utilisation (FU) évoqué dans votre second paragraphe. Je me permets de vous rappeler que le FU permet, pour toute filière de production comme pour chaque centrale de production, d’évaluer sa productivité énergétique typique. Le FU est un indicateur de productivité énergétique qu’il ne faudrait pas confondre, comme vous le faites malheureusement, avec le temps de fonctionnement d’une centrale éolienne, hydraulique ou thermique. Ainsi, le 35 % utilisé dans la première phrase de l’extrait correspond bien à la plage typique des FU génériques de l’éolien québécois, mais cet indicateur ne saurait en aucune manière participer à accréditer/appuyer/suggérer, même de loin, que ce 35 % pourrait se confondre avec le temps de marche annuel de l’éolien québécois. L’idée, objectivement fausse, qu’existerait une « intermittence » éolienne qui serait une sorte de tare spécifique à la filière éolienne, est, à tous égards une légende urbaine qu’il serait grand temps de déboulonner au Québec. La notion d’« intermittence » n’a par ailleurs aucune pertinence dans la comparaison du coût de revient des filières au sens de leur gestion et de leur exploitation en tant que nouveaux approvisionnements énergétiques intégrés aux transits d’énergie qui animent le réseau électrique 24/7. [Objectivement, je me dois de vous signaler également que le terme « intermittence » est tout-à-fait inapproprié pour discuter des caractéristiques de production d’une centrale éolienne en exploitation et de sa contribution à la satisfaction des besoins énergétiques des abonnés.] Pour revenir à cet indicateur de productivité énergétique qu’est le FU, vous pourrez par ailleurs vérifier auprès de vos sources chez HQ que le FU de l’hydraulique globalement au Québec, est inférieur à 60 %.

Si vous voulez parler de la disponibilité d’une centrale (c’est à dire très précisément du % du temps où elle est opérationnelle et en état de contribuer à l’alimentation des besoins énergétiques des marchés) l’éolien et l’hydraulique sont parfaitement comparables. Le fait qu’une centrale éolienne, ou hydraulique, soit « disponible » ne signifie pas qu’elle soit en train de produire, il ne faut pas l’oublier... Il existe de l’hydraulique au fil de l’eau qui pendant la saison froide ne produit quasiment rien (FU négligeable) alors que le FU de l’éolien en saison froide est nettement plus élevé que les 35 % dont on parle ici. Pour pouvoir comparer utilement les coûts des filières de production à travers des projets d’investissements destinés à de nouveaux approvisionnements énergétiques, la notion d’intermittence pervertit toute possibilité de discussion économique rationnelle sur le coût d’opportunité d’un futur investissement énergétique.

Je vous invite à prendre connaissance de ces différents indicateurs de caractérisation des filières dans « L’éolien, au coeur de l’incontournable révolution énergétique », un ouvrage que j’ai cosigné avec Réal Reid, et qui a été publié en 2009 aux éditions Multimondes. Les pages 86 à 94 inclusivement présentent les particularités de ces indicateurs. Je me permets également de vous inviter à substituer le terme « intermittence » par la notion infiniment plus appropriée de « variabilité » qui permet d’aborder rationnellement la gestion 24/7 de l’équilibre offre-demande d’électricité telle qu’elle se présente aux exploitants du réseau électrique. La variabilité est un paramètre opérationnel qui concerne autant la demande d’énergie que les caractéristiques d’exploitation des centrales qui contribuent à l’alimenter. La distinction entre « variabilité » et « intermittence » est tout-à-fait fondamentale pour la compréhension des enjeux de complémentarité des filières de production vis-à-vis de la demande qui fluctue en continu; vous trouverez une discussion sur cette distinction capitale aux pages 37 à 44 de l’ouvrage indiqué.

Dans le premier paragraphe de l’extrait ci-haut, vous avez donc effectué une comparaison impropre entre un critère de disponibilité annuelle de la filière hydraulique que vous donnez à 100 % dans votre seconde phrase du premier paragraphe (NB. en raison de la nécessité incontournable de périodes annuelles d’entretien, une disponibilité de 100 % est inatteignable pour quelque centrale de production que ce soit, éolienne, hydraulique ou thermique) et un « 35 % du temps » que vous confondez fort malencontreusement avec la caractéristique de FU généralement utilisée pour exprimer la productivité énergétique annuelle de l’éolien (bien que des FU bien supérieurs soient atteignables par des centrales éoliennes commerciales aujourd’hui). Dans ce premier paragraphe de l’extrait, le portrait que vous tentez de faire entre l’éolien et l’hydraulique en juxtaposant ces deux chiffres qui appartiennent à des univers de caractérisation totalement séparés est tellement incongru qu’il invalide complètement la conclusion que vous donnez dans votre second paragraphe. Au contraire de ce que vous affirmez dans votre second paragraphe cité, je me dois de vous rappeler qu’on ne peut comparer les filières de production entre elles que sur le coût de revient de l’électricité produite à service équivalent, en ¢/kWh, et que ce coût, par définition, intègre dans sa nature comptable même, la caractéristique FU de chaque projet mis en comparaison. L’opinion que vous exprimez dans votre second paragraphe ne résiste malheureusement à une analyse économique rigoureuse (qui inclurait comme il se doit les coûts, à service équivalent, des nouveaux projets d’approvisionnements projetés par quelque filière de production que ce soit, et un cadre de financement substantiellement équivalent forcément).

Pour finir, votre énoncé du troisième paragraphe de l’extrait précédent est à tous égards indéfendable. La réalité montre au contraire que les coûts des nouveaux approvisionnements en électricité éolienne continuent de baisser alors que ceux de l’hydraulique s’accroissent de manière accélérée, et irréversible! Telle est la réalité des coûts de harnachement du gisement hydraulique résiduel du Québec, que vous pourrez facilement valider auprès d’HQ et du MÉRN en demandant une estimation documentée du prix de revient du projet du Petit-Mécatina. Sans éléments probants pour l’appuyer, personne ne peut affirmer ainsi que vous le faites que le prix de l’électricité éolienne est « encore loin de pouvoir se comparer à celui de l’hydroélectricité ». Cette affirmation est fausse et en tout cas elle est de facto contredite par les tendances que tout analyste du secteur de l’électricité est en mesure de consulter au quotidien en 2015. J’ignore d’où vous vient le jugement péremptoire que vous servez à vos lecteurs, mais cet énoncé n’est absolument pas le reflet de ce que chacunE peut observer partout sur le continent et dans le monde.

La comparaison des coûts de production de projets d’investissements dans de nouveaux approvisionnements énergétiques est pourtant un exercice de rigueur méthodologique que nous nous sommes efforcés de faire impartialement dans l’ouvrage sur l’éolien cité plus haut, en comparant précisément le cas d’un projet éolien et d’un projet hydraulique de même productivité énergétique annuelle qui seraient soumis à la même paramétrisation financière. Je vous invite à consulter les pages 317 à 336 de l’ouvrage cité plus haut où nous avons clairement démontré — c’était en 2008 — qu’un projet éolien de même productivité annuelle que le Complexe La Romaine, lorsqu’analysé selon les mêmes paramètres financiers que ceux identifiés en 2008 par HQ Production pour la réalisation du Complexe la Romaine, donne un coût de revient du kWh éolien (Production et Transport, avec équilibrage inclus) inférieur à celui de la production de la Romaine (sans parler les retombées locales bien plus avantageuses pour les abonnés québécois d’un tel scénario de déploiement éolien en terme de rendement financier, de rente collective, d’emplois locaux, et d’évolution du réseau vers une diversification de ses modes d’exploitation, etc). Comme il s’agit à la base d’une méthodologie de calcul financier destinée à comparer le coût d’un projet de production, elle s’applique bien évidemment à n’importe quelle filière de production (l’efficacité énergétique, les NégaWatt, représentant à cet égard une filière de plein droit bien évidemment).

C’est dans ce cadre rigoureux et transparent de comparaison des investissements que les résultats du dernier appel d’offres éolien annoncé par HQD le 16 décembre dernier (disponible ici) prennent une importance infiniment plus significative que le portrait tronqué que votre article donne à voir. Ainsi le prix de vente à HQD pour les 450 MW de nouvelle capacité éolienne qui sera installée en 2017 sera de 6,3 ¢/kWh (NB. ce prix inclut bien évidemment le rendement sur l’investissement de ces projets réalisés par des promoteurs privés qui s’approvisionnent à 60 % sur le marché québécois pour leurs actifs de production). Il serait certainement utile que vous rappeliez dans une de vos prochaines chroniques que le coût de production projeté par HQ-Production pour la réalisation du Complexe La Romaine en décembre 2007 était de 9,2 ¢2015 /kWh et que ce chiffre a été réduit à 6,4 ¢/kWh par HQ qui a tout simplement fait passer, de manière aussi artificielle que rocambolesque, mais vraisemblablement avec l’autorisation tacite de l’Actionnaire Unique, le rendement sur l’avoir-propre (qui représente 40 % de l’investissement du projet La Romaine) de 12 % qu’il était en 2007 à... 0.0 % le 1er février 2011 comme s’il s’agissait là de la chose la plus naturelle du monde alors que les abonnés québécois (qui ont permis à HQ de constituer ces colossales ressources financières à travers la tarification il ne faut surtout pas l’oublier) souhaitent assurément qu’HQ tire le meilleur rendement commercial possible des investissements colossaux réalisés bon an mal an par HQ. Qu’HQ ait pu en 2011 lancer une telle déclaration quatre ans après le pro forma initial du projet est tout simplement imbuvable. Cela milite à mon avis davantage pour une mise en examen du cadre d’investissements d’HQ devant une commission spéciale d’enquête.

Et de fait la question primordiale que le public québécois est en droit de poser actuellement à HQ, c’est la suivante : « À quoi doit-on désormais engager aujourd’hui l’avoir-propre qui s’accumule chez HQ alors que la compétitivité de la filière hydraulique n’est carrément plus au rendez-vous? » Si le secteur privé peut faire de l’électricité éolienne à 6,3 ¢/kWh, une sous-question s’impose d’évidence : quel serait le cout de revient de l’électricité éolienne d’HQ si la Société d’état était maître d’oeuvre de tels investissements de production? Il me semble que vous auriez eu bonne grâce à rappeler ces évidences. De manière plus générale : « Mais qu’est-ce qu’HQ pourrait bien faire d’autre avoir son trésor de tarification que de continuer à investir dans des éléphants blanc comme la Romaine? ». C’est cette question que la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec a posée au début de 2014 (je diverge d’opinion quant à leurs conclusions concernant un moratoire éolien, mais il serait intéressant de savoir ce que les résultats du dernier appel d’offres éolien de la fin 2014 inspirent aux commissaires Mousseau et Lanoue vis-à-vis une re-priorisation des projets de production à privilégier au Québec si bien sûr de nouveaux approvisionnements en énergie étaient requis...)

Tant que les québécois ne seront pas sensibilisés à l’importance de la méthodologie de calcul des nouveaux approvisionnements énergétiques du secteur électrique, ils se feront berner par les effets théâtraux d’HQ qui travaille activement à occulter les raisons des coûts élevés de l’éolien au Québec, coûts dont on peut affirmer aujourd’hui en rétrospective qu’ils sont le résultat parfaitement prévisible d’un plan de déploiement imaginé il y a 10 ans pour les maximiser. Cette affirmation sur laquelle je conclus est démontrée dans un document d’expertise déposé à la Régie en juin 2014 dans le cadre de l’audience R-3887-2014 (demande d’autorisation déposés par TransÉnergie pour la construction d’une ligne 735 kV entre les postes Chamouchouane et Bout-de-l’Île). Bien sûr cela nous amène à la marge des commentaires que je m’étais proposé de vous faire après avoir lu votre texte, mais ce dossier a permis de rappeler la genèse du déploiement de l’éolien tel qu’il a été planifié au Québec et il éclaire utilement je pense la réalité d’une filière éolienne que trop de chroniqueurs de la scène québécoise prennent un malin plaisir à dénigrer tout en feignant d’ignorer que la compétitivité de nouveaux approvisionnements hydrauliques ne fait plus partie des conditions gagnantes pour le Québec. Si ceux et celles qui possèdent l’énorme privilège d’éclairer la discussion publique grâce à leur statut de chroniqueur médiatique influent du domaine économique ne font pas l’effort de nommer correctement les choses, de présenter les enjeux dans
une perspective objective, de discuter franchement de la réalité économique des nouveaux approvisionnements du secteur électrique, et de dénoncer les privilèges comptables et les abus de pouvoir consentis à la Société d’état dans l’évolution du réseau électrique québécois, on serait forcé malheureusement de devoir conclure, tristement, qu’ils participent à la désinformation du public.

En espérant que mes commentaires vous apparaîtront utiles dans la suite des choses, surtout en cette année où le Québec doit accoucher de sa prochaine politique énergétique dont tout les québécois doivent espérer qu’elle s’inscrive dans la modernité qu’imposent les défis climatiques planétaires.

Si des éclaircissements étaient nécessaires, je me ferai un plaisir de répondre à vos interrogations, mes meilleurs voeux pour une bonne et heureuse année 2015 à vous Mme Baril,

Cordialement,

Bernard Saulnier, ing.

Pour lire l'article de Mme Baril, cliquez ici.

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